dimanche 23 mai 2010

Entretien avec Marc Klapczynski

à propos de la sortie prochaine du film Ao le dernier neandertal, inspiré de son roman Ao l'homme ancien (ed Aubéron).

Marc est un excellent ami depuis plusieurs années, dont la sensibilité sur le sujet de nos ancêtres préhistoriques est très proche de la mienne, et c'est donc avec grande impatience que j'attends de pouvoir me rendre au spectacle du film tiré de son premier roman*. Un vrai grand film sur Neandertal, quelle nouvelle exaltante ! Bien sûr, Marc a vu le film en avant première et donc, comme je suis très curieux et inquiet du résultat, je lui ai posé plein de questions sur ses sentiments à propos de l'adaptation de son roman.

On a eu l'idée de faire de cette discussion une petite interview pour vous faire partager l'avis de Marc sur ce film événement qui sortira à la rentrée dans toute la France mais dont une grande tournée d'avant premières démarre ces jours-ci (voir le détail de la tournée ICI)

Bien entendu, si vous souhaitez réagir à ces propos, n'hésitez pas à laisser des commentaires, Marc ou moi même vous répondrons avec plaisir.

Bonne lecture

*
On reparlera sans doute bientôt de son troisième d'ailleurs (qui conclut la trilogie des derniers néandertaliens) dont je pense le plus grand bien (voir ce post de février dernier)

Interview de Marc Klapczynski.
L’avis de l’auteur sur le film AO LE DERNIER NEANDERTAL adapté de son roman.

E.R. : Comment est né le projet d’adaptation de ton roman ?

M.K. : Ao, le livre, est paru en 2003, et si j’ai bonne mémoire, Jacques m’a contacté vers la fin de l’année. Il avait lu le livre d’une traite et il était très enthousiaste. Il voulait qu’on se voit rapidement. On s’est rencontré à Paris, début 2004. Je me souviens qu’il s’impatientait parce que la cession des droits d’adaptation traînait un peu trop à son goût ! Finalement, le film aura mis six ans à se réaliser, mais pendant tout ce temps, Jacques n’a jamais cessé d’être impatienté ! Je rends hommage à la formidable ténacité et à la force de conviction qu’il a déployées pour parvenir à ses fins. J’ai suivi les péripéties, les périodes de doute, de déception, je peux en témoigner !

E.R. : Six ans… Et durant ce temps est-ce que tu as souhaité donner ton avis à propos des décors, des costumes ? Est-ce qu’à un moment donné tu as participé à l’écriture du scénario ?

M.K. : Non. J’aurais sans doute pu imposer ma participation mais j’ai senti les réticences de Jacques. J’ai compris qu’il craignait qu’on n’arrive pas à s’entendre et que le projet s’enlise, d’autant que je n’avais aucune expérience dans l’écriture d’un scénario. On ne se connaissait pas encore assez. Avec en plus les aléas et les difficultés qu’il a dû surmonter, il aurait peut-être fini par renoncer.
Par contre, je crois que c’était important pour lui que je le soutienne. Il tenait compte de mes remarques et de mes suggestions. La présence de l’ours blanc et d’un enfant hybride, par exemple, je n’y suis pas pour rien.

E.R. : Haaa… L’affaire de l’ours blanc ! Raconte-nous un peu parce qu’il y a peut-être des gens qui vont croire qu’il y avait des ours polaires sur la côte d’azur ou que les néandertaliens vivaient sur la banquise !

M.K. :
L’affaire de l’ours blanc ! A mon avis, on en entendra encore parler !
Non, les hommes de cette époque ne chassaient pas l’ours blanc ! Il s’agit d’une rencontre exceptionnelle, tout à fait improbable, dans le cadre d’un roman et d’un film. Les ours blancs existent depuis au moins 500 000 ans ! Comme ils le font encore aujourd’hui, ils fréquentaient sans doute les banquises du nord de l’Europe et de Sibérie. Occasionnellement, il leur arrive de s’enfoncer dans les terres derrière un renne ou un bœuf musqué. A l’époque, les hommes ne vivent pas dans ces régions où ils ne parviendront à se maintenir durablement que 20 000 ans plus tard. C’est bien pourquoi personne n’a jamais vu d’ours blanc. Je vais te faire une confidence : Ao est le seul à en avoir rencontré un !

E.R. : Merci pour la confidence ! Ce que j’ai ressenti en lisant ton roman, c’est que c’est justement parce que cette rencontre, l’élément déclencheur de l’histoire, est extraordinaire, presque fantastique, que se fonde le caractère légendaire de Ao « l’homme ours ». J’espère que ce sera bien perceptible dans le film. Alors, justement, après l’avoir vu, quel est ton avis sur le film ?

M.K. : Je pense qu’il fallait beaucoup de courage pour faire ce film. En l’absence de repères et de précédent, il a fallu innover, inventer, éviter autant que possible les pièges et les clichés, essayer de donner aux personnages et aux situations de la crédibilité tout en conservant suffisamment de visibilité pour un spectateur non averti. L’exercice était périlleux.
Au final, ça donne un film envoûtant, un conte initiatique qui peut toucher tous les publics. Le réalisme des scènes, conjugué à une approche poétique et idéalisée du rapport à la nature en font un film atypique, porté par un couple d’acteurs attachants, habités par leur rôle. Il y a beaucoup d’énergie dans ce film. Les reconstitutions sont particulièrement soignées. L’émotion affleure tout du long. Jacques a réussi la prouesse de faire un film tout à la fois spectaculaire et intime, dans un contexte préhistorique saisissant.
Je ne veux rien dévoiler mais je peux dire qu’on en prend plein les yeux !
Certains trouveront peut-être le propos trop idéaliste ou trop appuyé, d’autres s’attacheront à relever les quelques anachronismes et approximations, mais je suis convaincu que la plupart des spectateurs se laisseront emporter par Ao et Aki dans ce conte préhistorique, à travers de magnifiques paysages européens. Avec une jolie bande son.

E.R. : Tu m’as tout l’air d’être très heureux de la manière avec laquelle ton roman a été porté à l’écran ! L’adaptation est fidèle ?

M.K. :
Quand on s’est rencontré pour la première fois, il y a plus de six ans déjà, Jacques m’a affirmé qu’il tenait à réaliser une adaptation très fidèle de mon roman et je sais qu’il était sincère. Mais au fur et à mesure des nombreuses écritures et réécritures du scénario, il s’est rendu compte de la difficulté à porter certains aspects du roman à l’écran, notamment toute la partie psychologique, l’évolution de la relation entre Ao et Aki, difficulté liée à la subtilité des échanges et des situations, compliquées à mettre en images et à transposer efficacement dans un film avec des dialogues réduits.
On retrouve les situations fondatrices, le combat avec l’ours, Ao et Aki bien sûr, le rapport à l’enfant, la quête spirituelle du héros qui cherche sa place dans un monde en pleine mutation, le côté conte initiatique, western préhistorique, l’approche humaniste… Le roman constitue le matériau dans lequel a été façonné le film. Mais si la filiation est évidente, au final la composition est originale. Il y a des scènes revisitées, des inspirations et des extrapolations qui en font aussi une œuvre personnelle. Le roman et le film ont chacun leur propre cohérence.
Jacques a dû faire pas mal de concessions et se battre pour défendre son projet. Mais aujourd’hui, je sais qu’il est satisfait. Dans la mesure où je lui ai permis de faire le film qu’il rêvait de réaliser et que c’est un beau film, je ne vais pas cacher ma joie ! Il y avait d’abord Ao, un roman. Maintenant il y a une trilogie et un film. Je viens de finir une version pour la jeunesse d’Ao qui me tenait à cœur. Il y a aussi un très joli album, un texte poétique, magnifiquement illustré par un certain Emmanuel Roudier… Il y a tes bd. La préhistoire et Neandertal sont à l’honneur. Et chaque œuvre y contribue à sa manière. Dans le contexte actuel, la disparition de cet homme ne peut que nous interpeller.
Neandertal me fascine depuis l’enfance. Comme toi, comme Jacques, je suis fier d’avoir contribué à sa réhabilitation et à l’intérêt qu’il suscite aujourd’hui. Lorsque Ao, le livre, est paru, il y a sept ans, l’hypothèse de croisements entre Neandertal et Cro-magnon était considéré comme fantaisiste. Aujourd’hui, on découvre que cet homme nous a transmis une petite part de son patrimoine génétique avant de disparaître… Dans son film, Jacques a pris le relais avec toute son énergie et sa conviction. Contre certains avis, il a osé me suivre dans mes intuitions. En fait, il était déjà prêt. Il attendait juste de lire tout ça quelque part !
Au final, Jacques a réalisé le film qu’il voyait en lisant le roman. C’est sa vision qu’il a mis en image en suivant l’orientation vers laquelle l’entraînait sa propre sensibilité.

E.R. : Tu peux préciser un peu ?

M.K. :
Un film est forcément un raccourci avec un côté un peu caricatural. Avec moins de deux heures pour raconter une histoire, on doit choisir une orientation qui va donner du souffle aux images. Il ne faut pas oublier non plus qu’Ao n’est que le premier volet de ma trilogie. Avec un millier de pages, on peut se permettre d’affiner et de nuancer.
Au-delà de la reconnaissance de la pleine humanité de Neandertal que je défends, et qu’on retrouve parfaitement dans le film, le « pacifisme » de cet homme, éventuellement considéré comme «trait caractéristique de l’espèce», serait une extrapolation.
Dans mes romans, les hommes de Neandertal ne sont en général ni plus pacifiques ni plus belliqueux que les hommes de Cro-magnon. Ils sont simplement humains. Ce sont de formidables chasseurs, les premiers à avoir réussi à se maintenir en Europe pendant une période de glaciation. Ce sont eux qui ont essayé le plus de sortes de pierres différentes. Pendant près de cent mille ans, ils sont restés les maîtres de la toundra. Je suis convaincu que la rencontre entre ces deux humanités a contribué aux évolutions culturelles qui caractérisent cette période. C’est l’approche que je défends dans mes romans, à l’encontre du préjugé d’un homme de Cro-Magnon conquérant et novateur qui débarquerait en Europe avec sa panoplie d’artiste pariétal et ses nouvelles techniques dans ses bagages.
Vouloir considérer l’homme de Neandertal comme le représentant d’un groupe prédéterminé culturellement, au comportement stéréotypé, me semblerait réducteur. On ne peut pas en même temps prétendre à sa pleine humanité et nier sa diversité. La diversité comportementale est précisément une des caractéristiques de l’humanité. Il ne faut pas perdre à l’esprit que parler de l’homme de Neandertal, c’est parler d’une espèce ou au moins d’une sous-espèce, non d’un peuple, d’une ethnie ou même d’une race. Entre un Néandertalien du Moyen orient, des plaines et des plateaux d’Europe centrale ou du sud de l’Espagne, il y avait forcément des différences culturelles très importantes. Certains étaient sans doute plus pacifiques que d’autres, y compris à l’intérieur des groupes, en tant qu’individus. Voilà la seule certitude.
Dans les cultures des peuples de chasseurs cueilleurs et d’autres, prendre la vie n’est pas un acte anodin. Le rapport à la mort est complexe et ritualisé. C’est ce qu’on retrouve dans mes romans. Certains clans répugnent à prendre la vie de leurs semblables car ils craignent le ressentiment du mort et de sa famille, d’autres au contraire, y puisent un surcroît de pouvoir.
Dans le film, Ao est résolument pacifique. Mais en définitive, cette approche ne trahit pas l’esprit du roman. Ao et Aki appartiennent à cette catégorie d’hommes et de femmes qui font tomber les murs et avancer l’humanité.

E.R. :
Merci Marc.

mercredi 19 mai 2010

Vo'hounâ et Cheval-Cabré


Pour célébrer la récente publication du résultat des travaux de Svante Pääbo et son équipe du Max-Planck Institute de Leipzig, je voulais vous présenter cette image d'archive, à savoir la toute première esquisse en couleur du couple Vo'hounâ et Cheval-cabré, une néandertalienne et un sapiens moderne dont la romance constitue la trame principale de ma première saga préhistorique en bandes dessinées. ça a été un peu long à venir parce que je ne parvenais pas à remettre la main sur l'original de cette aquarelle qui date tout de même d'il y a plus de 10 ans (10 ans !), mais finalement je l'ai retrouvée aujourd'hui, tout va bien.

Bon. Les connaisseurs de Vo'hounâ verront que l'aspect de la demoiselle a pas mal évolué entre cette première recherche couleur et la version définitive (une autre aquarelle datée de 2005 ici), notamment pour la couleur des cheveux. Pour le collier de crocs sur le front, j'ai préféré l'enlever ça pouvait être dangereux ! Au demeurant sur la couv elle l'a échangé contre un crâne d'ours complet, ce n'est pas beaucoup plus raisonnable... Mais bon, il y avait déjà les yeux de miel. Et il y avait surtout cette idée essentielle d'une rencontre et d'une histoire d'amour entre sapiens et néandertal.

C'est cette idée, en somme, que la découverte du Max-Planck Institute de Leipzig vient "créditer" scientifiquement. J'en suis très heureux. Je rappelle en deux mots que la récente analyse d'une grande partie de l'ADN nucléaire de Neandertal révèle que nous, humains modernes, lui devons une partie non négligeable de notre patrimoine génétique (1 à 4% - sauf les africains qui sont de purs sapiens !), fruit de metissages probablement pas nombreux mais avérés, ayant eu lieu vraisemblablement lors de la première phase de rencontre des sapiens (alors archaïques) et des néandertaliens, quelque part au moyen orient, il y a un peu moins de cent mille ans. De là à penser que d'autres de ces métissages ont pu avoir lieu lors de la deuxième phase de rencontre, en europe il y a 30 à 40 000 ans, il n'y a qu'un pas que je franchis avec plaisir en rêvant... Et en espérant que de nouvelles découvertes de nos éminents chercheurs viendront transformer ces rêves en réalité.

Pour ceux au fond de la classe qui n'auraient pas encore eu vent de cette découverte, quelques articles très clairs à consulter sur le site du Monde* et d'Hominidés.com. Et aussi, tout de même, le site de Science qui a publié les résultat des travaux, avec un dossier special sur la question.

*attention erreur : la première photo qui illustre l'article n'est pas celle d'un néandertalien mais d'un homo ergaster (l'adolescent du lac Turkana, reconstitué par E.Daynes).